"Désirant et sidérant, si possible..." dit-elle.


"Désirant et sidérant, ...si possible !" dit-elle.

jeudi 8 mars 2018

Omar Youssef Souleimane | "Le petit terroriste" | Flammarion




"Le petit terroriste" est un livre choc, hallucinant et très émouvant.
C'est  le récit de l'éducation violente, en Arabie Saoudite, d'un jeune enfant syrien né en 1987 près de Damas. La famille d'obédience salafiste de Omar Youssef Souleimane y émigre, avant de revenir plus tard en Syrie. Il y suit une éducation coranique, tout en se nourrissant de la poésie d'Eluard et d'Aragon.

C'est le récit de son enfance "éduquée à mort", tout à la fois enfermement et enfer : la religion, la tradition, et les tabous ont élevé autour de lui une vaste prison sous un ciel muet. Dieu ne parle jamais la langue des bourreaux. Il dit : "L' islam est-il la solution suprême de tous les problèmes dans le monde arabe ou bien est-il une partie du problème-même ?"
Les interdits sont pléthores, les plaisirs toujours coupables. Et tout est menace.  La sexualité des adolescents se construit sur la frustration et la culpabilité ; Allah ne pardonne pas à la chair de désirer, d'aimer et de jouir. Omar supporte de plus en plus mal les brimades faites à l'âme et au corps. Comment un adolescent peut-il vivre dans la peur et la terreur permanentes ? Comment ne pas douter un jour de leur légitimité ? On se demande, nous ici le lisant, comment on ne devient pas fou, complètement fou, avec un désir de vivre et des rêves assassinés.

                                                                                      Les fantômes d'Allah
                                                                     Ils ont fait de nos veines des cordes de potence
                                                                     Et vendu l'ombre des palmiers contre un puits de pétrole
                                                                     Comme un cheval qui se débat dans le vide
                                                                    L'orphelin se fond dans le cri du vent

C'est aussi et surtout le récit d'une angoisse, celle que OmarYoussef Souleimane tente peut-être de calmer, écrit à la suite des tueries de Charlie Hebdo. Aurait-il pu être un des terroristes du 11 novembre à Paris  ? Qu'aurait-il pu/dû devenir s'il ne s'était pas affranchi d'une société où la religion se confond avec la vie ? S'il ne s'était pas émancipé de l'idéologie islamiste et sauvé ? S'il n'avait pas, plus tard, sauvé sa peau de la terrible dictature de Bachar el Assad ?

"C'est du coran, dit Omar Youssef Souleimane,  qu'est né mon athéisme". Le cheminement du doute cartésien a pris les contours géographiques du pèlerinage à la Mecque. Omar a 15 ans. Il veut des réponses, il les cherche, il lit sur son ordinateur.  Relit le Coran sous d'autres lampes, sans préjugé,  traversé par la poésie de Paul Eluard, et les écrits de la littérature pré-islamique.  Omar ne sera plus jamais assujetti à un Dieu, il veut être un homme libre. "J'écris ton nom, j'écris ton nom..." Il dit non, un NON total à la validité d'un Dieu qui brûle Eluard, Aragon, les chanteurs, les acteurs de cinéma, les musiciens, et cetera, et cetera.
Il ne croit plus en rien. Le ciel est vide. Le ciel est bleu.

En Syrie, il étudie la littérature arabe à Homs, et il devient journaliste. Forcément, il s'engage contre l'état tyran de El Assad. Il participe activement aux premières manifestations pacifistes qu'il filme. Il écrit. Il est très très vite en danger. Entre 2006 et 2010, il est correspondant de la presse syrienne et publie ses premiers poèmes (Chansons de saisons en 2006; Je ferme les yeux et j'y vais en 2010). L'écriture est son refuge naturel face aux violences vécues.  Il témoigne. Il sait, plus qu' un poète né dans nos démocraties confortables, qu'écrire est un acte subversif et dangereux.
Nous sommes en 2012. Il est recherché par les services de renseignements syriens. Il est clandestin.  Il risque sa vie. Il doit s'enfuir.

                                                                                                          Dans le flot des mirages
                                                                                                                    Le bateau a coulé
                                                                                         Seules les mouettes ont emmené le
                                                                                                                        pays avec elles

Sa terre d'exil ? Ce sera celle de France, la patrie de Paul Eluard, une terre d'espérance et de liberté. Liberté, LIBERTÉ, le premier mot qu'il retient. Omar est donc exfiltré vers la France, ...et nous respirons avec lui ! Il apprend le français et, 2 recueils de poésie et 6 années plus tard, il le parle prodigieusement bien. A Paris, il rencontre Salah al Hamdani, poète irakien réfugié politique depuis 40 ans, et la poète Isabelle Lagny, qui traduisent avec lui son beau recueil poétique "Loin de Damas" qui sera publié aux éditions Le Temps des Cerises. Si Omar écrit en français "Le petit terroriste", dans quelle langue un exilé politique pleure-t-il ?

                                                                                                               En automne 
                                                                                   Le bord des feuilles entaille mon cœur
                                                                                        Un seul arbre fleurit dans l'absence
                                                                                     Irrigué par les murmures de ma mère

La liberté, disait Rousseau dans "Le contrat social" en 1762, n'est pas de l'ordre de l'avoir, elle est de l'ordre de l'être,  et c'est pourquoi elle est inaliénable. L'émancipation des consciences humaines est toujours un gain pour l'humanité.
"Le petit terroriste" n'est pas un récit sociologique, c'est une histoire d'adolescence, les premières pierres posées pour une libération intérieure, et tout l'espace du manque et de la transformation.
Omar Youssef Souleimane est un homme libre qui écrit.

J'ai relu il y a peu de temps ces lignes de Paul Eluard et j'ai pensé à Omar :
"Le poète fait ce qu'il peut... Je ne crois pas avoir écrit un seul poème qui ait menti."


                                                          °                   °                   °




Omar Youssef Souleimane a publié depuis 2012  deux recueils de poésie :  
La mort ne séduit pas les ivrognes, aux éditions L'oreille du loup, traduit de l'arabe par Lionel Donnadieu
 Loin de Damas, aux éditions Le Temps des Cerises, traduit par Salah Al Hamdani & Isabelle Lagny 
Le petit terroriste, édité par Flammarion, a été écrit en français.
























1 commentaire:

  1. quel beau témoignage ... quel bel hommage tu lui rends ... Il est des mots qui emprisonnent il en est tant qui libèrent ...
    amitié .

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